Le fond du bus.

Publié le par Leussain

Le fond du bus.

Quand j'étais marmot, j'aimais pas beaucoup l'école. Elle m'aimait pas beaucoup non plus, la garce.

Jusqu'au collège, ça allait encore, je traînais pas trop des pieds, j'y allais en dilettante, « il ira loin » qu'ils disaient mes instits. M'enfin pour l'instant, je suis pas allé si loin que ça, j'écris ceci à cinq cents mètres de l'école publique où ce pronostic a été fait... Mais le collège, ç'a été un choc. Passer des Transformers aux viols en réunion, de l'échange de billes au rackett, le sentiment de devenir un numéro, confronté à des profs qui savent même pas retenir ton blase, c'est violent... J'avais l'impression en montant dans le bus d'être un veau qu'on mène à l'abattoir. Souvent, je partais de chez moi au dernier moment et je me planquais dans une ruelle quand je voyais le bus arriver. On trouvait quand même le moyen de m'emmener au royaume magique du Savoir et de la Connaissance, mais je gagnais une heure ou deux, c'était toujours ça de pris.

Le bus scolaire, la vache d'invention... Ç’a dû en fabriquer des générations de traumatisés. J'ai vite remarqué que les petites frappes squattaient le fond du bus. On les entendait vociférer bramer dès qu'on posait le pied dans le bus. Impossible pour un type comme moi d'y accéder. Le fond du bus c'est le cénacle des branleurs. Une machine à décanter la lie de la société. Les scories tombent au fond, je te dis ! Si t'as pas égorgé quelqu'un et que t'as pas niqué ta mère, c'est un endroit qui t'es défendu, tu restes près du chauffeur. Verboten. C'est du moins ce que je croyais à l'époque. Moi j'arrivais à accéder jusqu'à la moitié du bus (on disait « le car », en fait), mais j'étais pas loin de la ligne de front, à tout moment je pouvais prendre un éclat de shrapnel ! (un chewing-gum, un gros glaviot ou une cartouche d'encre éventrée)

Le fond du bus était pour moi un endroit mythique, aussi mystérieux et profond que le vagin de la femme, auquel je n'ai eu accès pour la première fois qu'à la fin de l'année scolaire, quand tout le monde séchait la dernière semaine d'école sauf mézigue (je parle du fond du bus, pas du vagin de la femme, hé patate). Mais c'était pas pareil, ma place j'avais pas l'impression de l'avoir méritée, de l'avoir conquise à la régulière, avec des tournées de baffes comme c'était l'usage !

Je crois pas que ce phénomène de décantation sociologique soit propre au bus scolaire. Fourre les résidents d'une maison de retraite dans un bus et je te parie que les plus hargneux atterriront naturellement, par un phénomène imperceptible, dans le fond du bus, sur la Banquette, défendant leur place à coups de dentiers en céramique et de déambulateurs. Joseph Kaprilge et Georgette Archambaud au fond, Martial Chaînard et Samir Bécham pas loin du chauffeur ! pour ceux qui connaissent... C'est physique !... C'est la sélection naturelle, pote. Les plus forts et méchants au fond du bus, il l'avait pas dit ça Darwin. C'est comme les militaires et les flics, c'est toujours les plus fumiers qui prennent du galon et qu'envoient les autres se faire tuer. Ça vaut aussi dans le privé, remarque. Le directeur d'entreprise est pas forcément celui qui est le plus compétent, c'est celui qui s'asseyait dans le fond du bus quand il était chiard.

 

 

 

Publié dans Porte-nawak

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