Le jour où le monde bascula dans l'horreur.

Publié le par Leussain

Le jour où le monde bascula dans l'horreur.

Je me souviens avec une précision effarante du jour où c'est arrivé. C'était une de ces soirées de printemps où l'air alangui hésite entre le tiède et la fraîcheur. Les graminées commençaient à peine à me faire chier avec leurs miasmes. Dehors, les PV de stationnement fleurissaient sur les parebrises et les demoiselles découvraient des jambes épilées de frais. J'en avais justement levé une, repérée sur meetic, appâtée par un profil tout ce qu'il y avait de mensonger (la case "revenus" est à ce titre un excellent appeau à femelle vénale). N'étant pas un mufle, plutôt que de la laisser payer la note du restaurant, je l'avais invitée à venir partager ma pitance dans ma gentilhommière, avec sans doute quelque part le projet d'échanger quelques fluides corporels par la suite.

Nous dinions donc d'un sandwiche rillettes-cornichons de ma confection, arrosé d'un Jurançon qui accompagne aussi bien la rillette de cochon que le foie gras -- avec un supplément de GHB dans son verre, histoire de passer une bonne soirée. C'est à ce moment qu'elle déclara d'un ton badin la révélation qui me plongea dans l'horreur et ouvrit dans mon cœur une brèche sanguinolente : "Tu sais que les cornichons, ce sont des concombres cueillis encore verts ?"

Elle avait dit ça en souriant de toutes ses dents, une rillette entre les incisives. Mais moi, je n'aurais pas été plus ébranlé si on m'avait dit que je me délectais de chair humaine !... De cérumen ! Sous le coup de la stupeur, je lui crachai à la gueule une bouchée mâchonnée à point.

Le canapé se dérobait sous mon fessier, mes mains tremblaient violemment et mon estomac menaçait mon invitée de gluantes représailles. Ah, la bougresse, elle m'écorchait l'âme à vif avec son "Tu sais que les cornichons, ce sont des concombres cueillis encore verts ?". Les GI's découvrant les camps naturistes des nazis n'avaient pas été plus pétrifiés d'effroi. Je n'avais pas été aussi choqué par une révélation depuis que j'avais appris que la prune et le pruneau étaient un seul et même fruit.

Moi ? Moi, à l'éthique irréprochable, qui refusait de manger du veau -- du bébé vache --, je consommais depuis des années des enfants concombres prélevés à un stade précoce de leur croissance, pudiquement et honteusement renommés "cornichons" par des producteurs sans scrupules. J'étais complice de ces assassins de jeunes pousses. Je contemplai l'unique petit cadavre de cornichon flottant dans le bocal de vinaire, seul survivant de ma voracité, et je ne vis plus un condiment, mais le petit Gregory dans sa saumure.

Bien sûr, on n'arrête pas de manger du cornichon en un tournemain, pas plus qu'on ne se désintoxique de l'héroïne sans produit de substitution, et je me livre toujours à d'ignobles ogreries, mais c'est avec un plaisir coupable, et le vinaigre blanc a désormais le goût et l'odeur du sang.

Ah, je puis te dire que le jour où j'ai appris que le surimi est en réalité du dégueulis de mouette gélifié à l'agar-agar, je me suis félicité de n'en avoir jamais mangé !

Publié dans Porte-nawak

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L
Une faute sur un article, c'est une bonne moyenne, non ?
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N
laisse le canapé en dehors de ça.....<br /> RIP à tous ces bébés verts... mais j'ai pas de pitié, moi. Tu me laisses ta part ?<br /> et sinon c'est je l'avais invitéE: cod placé avant l'auxiliaire avoir.
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