Le manuscrit et la mort - Nila Kazar

Publié le par Leussain

Bangeourre. 

Je ne passe plus trop par ici. Pas le temps. C'est que mes chefs-d'oeuvres vont pas s'écrire tout seul, que j'ai pas les moyens de me payer des réécriveurs qui vont me faire tout le boulot, moi. Et puis ma petite femme me prend du temps. J'aurais mieux fait de prendre une gerbille, tiens. 

Je te parlais de réécriveurs, tu sais ces gens qui manquent singulièrement d'ego ou crèvent la dalle et mettent leur dignité dans leur poche, pas tout à fait des nègres, mais quand même... et donnent tenue, style et forme littéraire à des premiers jets qui n'en ont pas. Elen Brig Koridwen, auteur de talent, est un de ces mercenaires du verbe, qui détaille dans un article fort intéressant ce métier peu reluisant. Comme les égoutiers, les huissiers de justice et les thanatopracteurs, il en faut, je suppose... 

Nila Kazar est également une réécriveuse. Pour ce que j'en sais, elle a peut-être rendu présentables certains des bouquins qui te sont passés entre les mains. Mais ce n'est pas cette partie de son travail qui nous intéresse. Certains signes ne trompent pas ; quand une auteure ne fait presque aucune promo, que son bouquin présente une couverture sobre, qu'elle ne lance pas de concours putassiers et qu'elle n'a pas 4000 amis sur Facebook, c'est qu'il faut se pencher sur son oeuvre. Dont acte.

J'avais déjà lu l'excellentissime recueil Les rivières fantômes, dont le thème était la guerre, et avait immédiatement adhéré à son écriture puissante et les intentions qu'elle y mettait. Je pourrais te parler longuement des intentions chez l'écrivain. Beaucoup de scribouillards n'en ont aucune. Ils se contentent bien souvent de torcher de bonnes intrigues à suspense, à tiroirs, à rebours, à dada sur mon bidet, mais alors si tu cherches un message, une intention, tu repars Gros-Jean comme devant (dernière entrée de cette expression : 1928).  

Je n'ai jamais été aussi près peut-être en lisant Le manuscrit et la mort, d'atteindre ma quête et de pouvoir clamer du roman d'un auteur indépendant (terme très à la mode dans lequel se côtoie le plus talentueux et le plus indijean) : "Chef d'oeuvre !" Voilà ce que je cherche dans la littérature : que d'autres auteurs plus intelligents ou sensibles que moi m'expliquent le monde dans lequel je vis et me décryptent les comportements humains, parce que moi vraiment les ressorts de cette machine organique, j'ai beau m'escrimer, j'y comprends niqu'tte. Car c'est bien l'être humain qui est au centre des préoccupations de Kazar. Armée des mêmes 26 lettres et de la touche espace que n'importe quel tâcheron, gagnant des Plumes Francophones Mamazone compris, elle te dissèque l'âme humaine mieux que Freud et consorts, au travers de tranches de vie savoureuses, poétiques, truculentes. On a envie de se vautrer dans son style, de crier encore ! encore ! une autre ! lorsque la dernière page se tourne. Et ces mots, seuls Metallica, le tendre vagin qui dort au-dessus de moi et les très bons écrivains peuvent arriver à me les arracher. 

Publié dans critique livre

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L
Pour réussir à faire connaître son livre et éviter que les autres les réécrivent, il faut bien en soigner.
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F
Ce matin, j'ai fais caca. Deux fois. D'abord un dur et puis un tout mou.
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E
Pourquoi "peu reluisant", Frédéric ? Je trouve tout à fait normal, au contraire, que des manuscrits prometteurs, ou de bonnes idées, soient mis en forme par des professionnels. Cela ne fait de tort à personne, et rend des lecteurs heureux, ce qui, au fond, est la raison d'être de toute la filière du livre. En prime, cela montre à un auteur débutant l'objectif à viser, et de nombreuses pistes pour y parvenir. À chacun sa vision du processus, et si toi, tu ne voudrais en aucun cas que l'on touche à tes "bébés", c'est ton approche, pas une vérité universelle...<br /> Amicalement,<br /> Elen
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