Extrait d'un roman en cours d'écriture

Publié le par Leussain

  Elle souffla, exaspérée, et repoussa sa mèche derrière son oreille. Sans doute l'emmerdait-on cent fois par jour pour signer un autographe ou faire une photo en sa compagnie, ou bien, surtout en ce moment délicat dans sa « carrière », pour l'insulter. Elle tourna sa jolie tête vers moi – pour ce que je pouvais en voir – et sa physionomie changea aussitôt. Ses mâchoires se crispèrent, son front jeune se plissa sous la risée de la colère et ses petites mains de moineau se serrèrent autour de la lanière de son sac à main (un sac à main différent de celui dans lequel elle avait mis le flacon de Lancôme – un modèle de chez Desigual dont les ventes avaient pourtant augmenté de trente pour cent suite à la publication dans Closer, j'avais lu quelque part...).

    Elle s'approche, elle m'examine, elle se demande si... oui elle me reconnaît, y a aucun doute, je suis l'artisan de ses déboires ! C'est moi l'enfoiré qui ai montré à toute la France la veulerie de sa prude pupille. Je bredouille, sincèrement gêné : « Je voudrais m'excuser. C'est ma faute... C'est ma faute ce qui vous arrive, Mélody. »   

   Elle enlève ses lunettes de soleil. C'est parfait, je pouvais pas rêver mieux. Elle a de beaux yeux bleus, ou verts, j'arrive pas à me prononcer, faudrait demander l'avis du public, mais c'est des lacs dans lesquels on plonge tout habillé. Des yeux de gamine paumée dans une existence qui va trop vite pour elle. « Ah ! tu t'excuses ! qu'elle me fait. Tes excuses tu peux te les mettre dans le cul, sale paparazzi de mes couilles ! Tu peux pas faire un vrai boulot ? Vider les poubelles ? Ramasser les merdes de chien ? Nettoyer les égouts ?"

   Elle mesurait bien dix centimètres de plus que moi. Ses escarpins la perchaient très haut. Son copain la fiotte culturiste en t-shirt moulant et jean ajusté essaya de la retenir par le coude, mais elle se dégagea. En furie qu'elle était ! « Mélody ! l'implora Musclor. Laisse-le ce petit con, il en vaut pas la peine, et si tu le frappes, il serait capable de t'emmener au procès ! »  

    Qu'est-ce qu'il minaudait... J'étais pas du tout homophobe, n'ayant rien d'autre à foutre ce jour-là, j'avais même manifesté avec les gays et lesbiennes pour soutenir leur droit au mariage, mais bon, j'avais en horreur les folles-tordues, j'avais le sentiment qu'elles étaient sans cesse en représentation. C'était viscéral... comme ma méfiance mécanique des Arabes et des Noirs. J'étais le produit de mon environnement.

 

   « Toi ta gueule la pédale, fis-je, je t'ai pas causé. » L'outrage ferma le bec de l'Adonis, mais miss Dolce Villa, elle était devenue cramoisie. Ses jolies mirettes dessinées par un trait de khôl s'étrécirent, et moi j'étais là sur le trottoir, la joue tendue, attendant la juste baffe que j'avais pas volée. Mais elle ne venait pas. Je décidai de la pousser dans ses retranchements. « Et toi, ho ! c'est quoi ton métier ? m'exclamai-je. Qu'est-ce que t'as fait à part te montrer en maillot deux pièces devant la caméra ? Hein ? Dis ! T'es qu'une pute qu'on peut pas baiser ! »

    Mélody se met à se gargariser, elle produit d'horribles sons avec sa gorge, ça fait un bruit de bétonnière à vide. Elle se racle le gosier, elle se comprime les poumons, se cure la luette, inspire expire, se ramone les fosses nasales, elle fait rouler sur sa langue un énorme glaviot qu'elle rumine bien bien, elle tousse deux fois pour décoller encore un peu de matière, elle en gonfle les joues, elle est verdâtre, au bord de l'asphyxie, et son pote lui dit de pas faire ça, que son image de madone est suffisamment écornée, mais elle le fait quand même ; elle me crache à la gueule un truc immonde, une boule de glaire qui explose sur ma pommette et se répand sur la moitié gauche de mon visage, là où j'attendais une gifle.

   C'était encore mieux.

   C'était le jackpot.

    Furieuse, la grande blonde au cul d'enfer se réfugia dans son appartement, tandis que son pote la fiotte me tendait un mouchoir en papier pour m'essuyer le portrait. Je déclinai et l'envoyai se faire foutre lui et la célébrité. On m'avait souvent craché à la gueule, mais jamais littéralement. Ça faisait moins mal qu'une batte de base-ball, et si un jour on vous laisse le choix, préférez qu'une centaine de types vous crachent à la gueule plutôt qu'un seul coup de batte de base-ball en pleine poire.

    « Tu l'as eu ? demandai-je à Screech, que Mélody et son pote n'avaient pas remarqué.

    – C'est immortabilisé, ouais ! dit-il en me tendant mon téléphone portable. Cette meuf, sous ses airs de bourgeoise, c'est une vraie caillera ! »

    J'appelai Farouk Hassana. Je laissai sécher sur ma gueule ce crachat qui valait de l'or, comme une vieille blessure qu'un ancien combattant est fier d'arborer.

Publié dans Avancement et projets

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