Le grain de monsieur Fordyce.

Publié le par Leussain

Les grains de Fordyce, ce sont de petites glandes sébacées présentes chez l'homme comme chez la femme, mais particulièrement visibles chez le mâle. Pour peu que tu sois assez souple, tu peux vérifier que tu en es équipé en tombant ton falzar et en tirant un peu sur la peau de ton appareil. Mais pourquoi ce nom, "grain de Fordyce" ? Pardi, en raison du médecin qui les a découvert et leur a donné son nom ! Comme le préfet Poubelle qui a donné son blase au bac destiné à recevoir nos déchets.

Je m'imagine la scène, lorsque monsieur Fordyce est rentré chez lui ce soir-là, après avoir fait sa découverte. Une atmosphère à la Dickens. Il enlève son chapeau claque, dépose sa redingote sur le porte-manteau (pour moi, depuis Tournesol, tous les savants et les professeurs portent des redingotes), et enfile ses charentaises. La blême lueur d'une chandelle de suif creuse le vestibule d'ombres remuantes. Au dessus de lèvres pincées, monsieur Fordyce porte des favoris soigneusement peignés chaque matin.

Madame Fordyce dans un tablier strict l'accueille froidement, sans lui sauter au paf comme toute femme au foyer devrait le faire. Je l'imagine avec la voix aigre de Liliane, la ménagère de la série de M6. En l'absence d'autres éléments d'informations, nous l'appellerons donc Lilianne.

-- Bonjour monsieur Fordyce mon mari. Avez-vous fait avancer la science aujourd'hui ? persifle la gorgone.

Monsieur Fordyce se laisse tomber sur un fauteuil Louis XVI qui trainait par là, las. Sa mine est grave, il se tient roide comme s'il s'était malencontreusement assis sur le balai du jardinier.

-- Madame, oui, je crois pouvoir affirmer qu'aujourd'hui je viens d'inscrire mon nom, et le votre par conséquent, dans les annales de la médecine, si je puis dire.

-- Enfin ! Tout de même ! Je discutais l'autre jour avec miss Alzheimer et miss Parkinson, j'en crevais de jalousie. Leurs maris se sont appropriés des pathologies bien dégueulasses ! Toutes ces personnes âgées qu'on entasse dans des hospices, elles ne sont pas gâteuses, elles sont malades, elles ont le cerveau qui part en confiture, et oui, et c'est les maris de ces dames qui ont déposé le brevet sur ces maladies. Le cerveau, vous imaginez ? Quel prestige ! Je commençais vraiment à faire un complexe d'infériorité lors des tea-party hebdomadaires. Allons, venons-en au fait, qu'avez vous découvert, et dans quelles circonstances ? Une maladie vénérienne ? Un syndrome encéphalique ? Un trouble cardiaque ? Ne me faites point languir !

-- Voici. Ce matin, j'examinais un patient, un homme d'âge mûr venu pour un chancre mou sur le pubis, au stade précoce, probablement contracté suite à un troussage de domestique. J'examinais la papule rosée, symptôme caractéristique de la maladie, lorsque j'ai remarqué que sa verge était couverte de petites excroissances en forme de grains, caractéristique que j'avais déjà remarqué chez bien des patients mais qui était poussé ici à son paroxysme. La bite de ce parlementaire -- car il était dans la politique -- la bite de cet homme, laissez-moi vous le dire, on aurait dit le rouleau d'une boîte à musique !

-- Fabuleux... et quelle sorte de pathologie est-ce là ? Est-ce sexuellement transmissible ? Dites-moi, car à force de vous entendre parler de gonorrhée ou de syphilis dès le petit déjeuner, je suis devenue presque aussi érudite que vous sur le sujet.

-- Justement, non, c'est tout à fait normal. C'est seulement que personne n'avait pensé à signaler ces grains. J'ai déposé le nom à l'académie en venant : grain de Fordyce. Cela sonne bien, qu'en dites-vous ?

-- Comment ? s'emporte Liliane. Crotte alors ! Saperlotte !... bon à rien ! branleur ! fumiste ! fonctionnaire ! dermatologue ! Des boutons blancs sous les couilles, c'est tout ? Un cancer de la peau, c'était trop vous demander ? A tout le moins une infection ! Ah ! C'est du travail d'arabe ! Est-ce à dire que pour l'éternité le nom de Fordyce sera associé à des boutons sur les couilles et la queue ? Ah, elle est forte de moutarde celle-là ! C'est la conclusion d'une journée de merde ! Je vous préviens que je vais demander le divorce et reprendre mon nom de jeune fille, mademoiselle Lanusse ! (en France, ça prêterait à rigoler, mais aux Etats-Unis ça passe bien) Vous imaginez, dans cinquante, dans cent ans, quand un quidam ira voir son médecin pour lui demander qu'est-ce que c'est que ces petits boutons blancs qu'il a sur le service trois-pièces, et que le disciple d'Hypocrate lui dira : "ce n'est rien, ce ne sont que des grains de Fordyce tout à fait normaux, c'est un sujet de blague chez nous autres médecins, ahaha".

-- Ma mie, calmez-vous, je vais trouver autre chose. Apposer mon nom sur quelque véritable pathologie. Tantôt, j'examinais justement un rectum qui...

-- Ah crotte ! Vous m'embêtez José, je vais chez ma mère !

Publié dans Porte-nawak

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