Refuse ! Résiste !
Y en a marre. Tu vois cette grosse veine bleue qui bat la cucaracha sur ma tempe ? C'est le signe que je suis très en colère. L'objet de mon ire ? L'anglais qui colonise la langue française, qui s'y développe telle une tumeur maligne, sans qu'un quelconque ministre de la culture ne s'en émeuve. Que les enturbannés magnats du pétrole rachètent nos clubs de foot, je m'en tamponne le coquillard. Que les chinetoques s'approprient Paris, parcelle par parcelle, et mettent une pagode à la place de la pyramide du Louvre si ils veulent. Que les patrons délocalisent en Roumanie si ça leur chante ; de toute façon, les seuls emplois seront bientôt tenus par des auxiliaires de vie qui torcheront des vieux qui n'auront pas une retraite suffisante pour se payer la maison de retraite (à moins de les délocaliser eux-aussi, les vieux). Mais que les rosbeefs, enfin on parle surtout de leurs cousins d'outre-Atlantique, que ces empaffés s'attaquent à nos fondamentaux, notre idiome maternel, ce qu'il y a de plus proche du sein d'une mère, alors là ça ne passe plus ! Je rage ! J'en rage ! J'en galfionne ! J'en roucasse ! Je vitupère ! Je tire à boulets rouges ! Je fulmine ! A moi Jeanne d'Arc, toi qu'ils ont grillés à point ! Je crie à l'attentat au langage ! Au terrorisme banalisé ! C'est pas les arabes qu'il faut repousser, ni les youtres d'ailleurs ! c'est pas l'inflation qu'il faut combattre, non, c'est l'invasion des anglicismes ! Qu'elle est vilaine, cette langue, toute plate, toute fade, rugueuse comme une paire de couilles de porc-épic ! Même en lisant du Shakespeare en version originale, on a l'impression de lire une notice de micro-ondes. "To be or not to be", ça doit vouloir dire qu'il faut pas mettre son bébé à sécher à l'intérieur ! Et le sinistre de l'intérieur, qu'est-ce qu'il a adopté comme mesure ? Nada ! Que dalle !
Remarque bien que je ne suis pas nationaliste, chauvin ou patriotique. Le drapeau est un signe ostentatoire de connerie, ni plus ni moins que la burka et les papillotes des juifs orthodoxes. Je suis né quelque part, et que ce soit Cognac ou Tattoine, c'est du pareil au même en ce qui me concerne.
Je fais pas non plus dans le protectionnisme idiot. C'est de notoriété publique qu'on fait des voitures moches et qui tombent en panne ! C'est normal, avec tous ces illettrés qui bossent dans des usines, et qu'ont du mal à suivre les consignes ! C'est certain qu'on a pas un groupe de rock qui tiennent la route depuis que Bertrand Cantat a dérapé sur la gueule à Marie ! Que le pinard californien est aussi bon que le nôtre !...
Non, je suis atterré de constater que de moins en moins d'humains sur cette planète jactent le français. C'est pourtant une belle langue. C'est sûr, en lisant Marc Lévy, on s'en rend pas vraiment compte. Mais Zola, Dumas, Flaubert, Balzac... Céline même, qui lui a redonné le coup de lustre, ces gens-là ont montré ce qu'il est possible d'en faire.
Enfin, c'est un peu beaucoup de notre faute, aussi ; enfin de la tienne, parce que moi je laisse rien passer. Dans mon prochain roman, l'anglais n'est pas invité ! Le bon goût non plus ! Et pourquoi donc que t'embarrasses ton vocabulaire de mots anglo-saxons cacas, alors qu'en cherchant un peu, des équivalents en bons français existent ? C'est parce que c'est plus court à écrire ? Tu paies le caractère ? Y a qu'à se pencher sur le Bescherelle, la véritable bible, pour ramasser ! Demande-moi, si tu sais pas ! Fais de la résistance ! Refuse ! Résiste ! Il en va de la survie de ta langue ! Je l'aime moi ta langue !... Lorsqu'on te demande si tu aimes Star Wars, réponds que tu préfères la Guerre des Etoiles. On te prévient qu'un sniper sévit dans le coin ? Réponds que ça ne t'inquiète pas du moment que ce n'est pas un franc-tireur. Ta copine veut faire un "break" ? Dis à cette radasse qu'elle pourrait avoir l'obligeance de te larguer en français ! Refuse ! Résiste ! Et pourquoi on ne prendrait pas exemple sur les québécois ?... Certes, leur accent est à chier. Quand ils l'ouvrent, on dirait qu'ils parlent avec tout un paquet de gomme à mâcher (tu vois que c'est possible) dans le clapet ! Depuis le temps qu'ils ont filé de la terre-mère, au contact de la sauvage Amérique, leur usage de la langue s'est abâtardi. A coté, un chti paraitrait presque cultivé.
Mais vois, chez les sirops d'érable, comment elle se redresse la langue, comment qu'on lui redore le blason défraîchi, sous l'impulsion de tout un peuple fier de son identité. Au Québec, les titres des films et des séries sont traduits, et les gens ne vont pas moins au cinéma pour autant.
Prenons-en de la graine, boutons l'anglais hors de nos frontières, pas tout l'anglais, seulement celui qu'on n'a pas eu le temps d'intégrer, que nos académiciens n'ont pas eu le temps de digérer. Résiste !