Le jour où je suis devenu invisible.

Publié le par Leussain

Et un jour, pour de bon, j'ai disparu de la surface du monde. Enfin je n'ai pas vraiment disparu : je me suis effacé. C'est arrivé en l'espace d'une journée. Les premiers signes sont apparus à la caisse du supermarché où j'avais l'habitude de me ravitailler en bière. J'allais déposer mes achats, des chipolatas, des chips saveur poulet rôti, un pack de 12 Finkbräu, deux piles LR20, sur le tapis roulant, quand une vieillarde en fauteuil roulant motorisé m'a grillé la politesse en me roulant sournoisement sur le pied.

Je réprimai un premier mouvement qui consistait en un aller-retour du revers de la main dans sa vieille tronche fripée. « Dites-donc, le légume tout meulé, j'étais là avant vous », dis-je simplement ; mais la vieille femme ne semblait ni me voir, ni m'entendre. La caissière, qui paraissait aussi peu vivace que les maquereaux du rayon poissonnerie, ne me remarqua pas davantage. Emportée par des années d'automatisme, elle scanna mes articles, puis annonça l'addition d'un ton las et monocorde. Je n'existais purement pas pour elle.

Un peu plus tard, ma femme me confirma que j'étais bel et bien en train de devenir invisible et inaudible pour mon entourage. Après avoir déposé les courses sur la table de la cuisine, je m'affalai comme tous les jours dans mon canapé avec accoudoirs et repose-pieds, une merveille de technologie avec porte gobelet réfrigérant, et priai ma femme de m'apporter des glaçons – j'avais déjà sorti le pastis, et je déteste noyer le pastis avec autre chose que des glaçons, c'est pour moi un sacrilège. Micheline – c'est son prénom – Micheline passa entre moi et le poste de télévision en m'ignorant superbement. Son gros cul fit, en voilant le visage lumineux de Claire Chazal, comme une éclipse de soleil. Je réitérai ma demande ; elle ne m'accorda pas une parole, pas un regard, ni même un geste. Elle éteignit la télévision, oui, vous lisez bien, c'est ce qu'elle fit, croyant certainement que l'appareil ne fonctionnait pour personne. Je ne pus une seconde fois dans la journée museler mon cerveau reptilien. Je me levai d'un bond de mon canapé italien, et lui administrai un ramponneau dans les gencives qui la fit éternuer trois fois. Tcha, tcha, tcha, fit la maritorne, sur le rythme d'un tube de Luis Mariano.

Micheline roula des yeux éberlués et piqua du nez vers la moquette. Puis elle courut et sortit de l'appartement en trombe, poussant des cris d'orfraie à faire cailler le lait. Tout indiquait qu'elle ignorait ce qui lui avait percuté le museau. Ce n'était pourtant pas la première trempe qu'elle recevait, la Micheline ; d'habitude, elle subissait sans broncher, stoïque, elle encaissait avec un flegme britannique. Sans doute, dans le cas présent, croyait-elle avoir été la victime d'un esprit frappeur, un de ces poltergeist qui cassent la vaisselle et donnent des coups dans les murs. Je m'assis et méditai mes nouveaux pouvoirs.

Pour une raison que j'ignorais, j'étais doté de la suprême capacité d'invisibilité. Qu'allais-je en faire ? Pouvais-je employer ce pouvoir pour quelque action humanitaire ? Ce n'était pas mon genre. Aussitôt, une cohorte d'idées m'envahit. Voici ce que je fis :

Tout d'abord, je me rendis à l’Élysée, ce palais de la démocratie. Je comptais initialement apprendre quelque secret d'état, mais je ne vis défiler qu'une succession d'actrices de troisième zone, qui pompèrent la présidentielle bite du chef suprême comme si l'avenir de la nation était en jeu. J'appris tout de même, entre deux fellations promptement réalisées, de croustillants secrets d'alcôve : la Corée du Nord comptait envahir la suisse pour lui voler sa recette du chocolat, et Vladimir Poutine était homosexuel, comme l'indiquait sa passion de jeunesse pour la lutte et sa propension à poser torse nu sur des chevaux.

Lassé par la politique et ses écheveaux, je m'infiltrai dans la loge de Shakira, la bombasse latino, dont la tournée était de passage à Paris. Je pus reluquer sa plastique parfaite à loisir, sans que ni ma queue que j'agitais sous son nez, ni ma respiration haletante, ne trahisse ma présence. Je fis ensuite un détour par un pensionnat de jeunes filles, où je réalisai un fantasme que je fomentais depuis des années. Le soir, dans cette école, je découvris qu'on se broutait ardemment à la lumière des I-phones, on mettait les doigts et mille autre chose dans de petites chattes pas encore nubiles. Je m'infiltrai dans des loges judéo-franc-maçonniques-illuminatis, où s'ourdissaient de sombres complots du même nom. De puissants personnages imbibés de scotch se demandaient sur quels emballages de soda, de paquets de cigarettes, de bière, ils allaient bien pouvoir imbriquer leur logo. Le résultat serait sur youtube la semaine suivante, décrypté par d'habiles citoyens.

Et puis, j'eus une idée saugrenue. Si j'allais écouter ce que disaient de moi mes collègues en mon absence ? Je me rendis à l'usine de mise en bouteille dans laquelle je travaillais depuis vingt-cinq ans, et tournai pendant deux heures entières autour de mes collègues. Les conversations gravitaient autour de beaucoup de sujets, de l'épidémie d'Ebola jusqu'au Tour de France à bicyclette, en passant par les hausses d'impôts, mais ne dévièrent jamais sur moi. J'étais pourtant absent depuis trois jours, sans motif valable, pourtant cela semblait n'intriguait personne. L'évidence me frappa. Je n'étais pas seulement devenu invisible et inaudible, j'avais également été rayé de l'histoire passée et à venir. C'était comme si je n'avais jamais existé. De dépit, j'allai m'enfermer dans les toilettes. Je m'assis sur la cuvette et enfouis ma tête dans mes mains. Je n'étais plus rien. Sans quelqu'un pour vous répondre, pour vous parler, pour vous rappeler que vous existez, vous n'êtes pas plus consistant qu'un courant d'air.

J'en étais là de mes réflexions métaphysiques lorsque la porte du chiotte s'ouvrit et que l'énorme, pantagruélique Richard apparut. Richard était atteint d'obésité morbide. Il n'avait plus vu son sexe depuis qu'il avait franchi la barre des cent-cinquante kilos, et ne le reverrait un jour qu'à condition de se faire poser un anneau gastrique. Richard parvenait encore à travailler, il s'essayait à un bout de la chaîne, huit heures durant, et ne déménageait sa carcasse adipeuse que pour déjeuner ou, comme ici, pour aller chier un coup. Un bon gros coup. Une fois sur deux, il bouchait les chiottes, c'était la terreur des plombiers cet homme-là. Je n'eus pas le temps de dire « ouf », ni « ouste », que Richard avait déjà tombé son falzar sur ses chevilles et s'asseyait sur moi. Imaginez cent-soixante-dix kilos de chair molle qui vous tombent dessus, pratiquement en chute libre. Richard ne se rendit pas compte qu'il s'était assis sur un être humain, j'avais beau gémir, supplier, pincer ses mamelles de femelle, il ne m'entendait ni me voyait plus que les autres.

C'est alors que cette histoire vire à l'horreur pure et simple. Le mastodonte poussa, et d'une seule contraction des sphincters, expulsa entre mes jambes, oui ! mes jambes à moi ! un caca de la taille d'un nouveau né. Sans blagues, des étrons de cette taille, il faudrait leur donner un prénom et les faire enregistrer à la mairie. J'eus alors un réflexe salvateur. J'actionnai la chasse d'eau, qui s'ébroua, et aussitôt, le gros Richard bondit de son trône de céramique, enfin si tant est qu'une masse pareille puisse bondir. « Oh, Jean-René, c'est toi, je ne t'avais pas vu ! s'écria t-il en se retournant. Je suis désolé. » Et, obséquieux, il déroula deux mètres de papier pour m'essuyer les cuisses.

Encore aujourd'hui, je cherche une explication à ce qui a pu se passer pendant ces quelques jours d'avril, où je suis devenu tellement insignifiant que j'en suis devenu invisible.

Publié dans Porte-nawak

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N
Salut, je voulais juste vous laisser un commentaire pour vous dire que j'ai trouvé cette histoire géniale! Avec un humour super, en plus!
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S
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Merci Nanou, c'est rectifié.
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N
super histoire... suspens à souhait ! <br /> néanmoins tu parles au début et à la fin d'une seule journée<br /> et le narrateur est absent depuis trois jours de l'usine ?
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