La lettre du miyeu.
Bangeourre,
Quel dilemme. Quel bordel dans ma tête. Il me faut absolument une rutilante lettre à poser entre mon nom et mon prénom, mais laquelle ? Oui, tu comprends, comment va t-on me prendre au sérieux si comme JRR Tolkien, Robert E Howard, George RR Martin, je n'intercale pas de la particule noble qui donnera à mes écrits le lustre qui leur manquera peut-être ? Hein ? Comment ?
T'achèterais un bouquin à un type qui s'appellerait, par exemple, Didier Fédou ? Oui ? Bon, d'accord.
Le hic, c'est que mes parents n'ont pas voulu se casser le cul à me choisir un second préblaze. Il va me falloir improviser. J'ai toujours rêvé de m'appeler Adolphe, je trouve que c'est un prénom de conquérant, qui en impose, et qui est bien injustement tombé en désuétude, j'ignore pourquoi. Voyons : Frédéric A Soulier. Non, ça sonne mal. Je peux pas foutre un Z, ou un X, personne ne croira qu'on a pu m'affubler d'un Xérés ou d'un Zigouigoui en guise de second prénom... Et je ne peux pas non plus coller un Q, on va croire que je ne pense qu'à ça. Quand au P, je ne l'envisage que pour des pays non-francophones.
Je sais ! Un V ! Le V de victoire, le V de vagin, varice, vasectomie ! Regarde un peu s'il est beau mon V, confortablement calé entre mon nom et mon prénom, telle une actrice de charme pendant une double pénétration, ou comme une tranche de jambon de parme entre deux tranches de pain bagnat : Frédéric V Soulier. Ah ça tout de suite, ça donne de la consistance ! Avec ça sur une belle couverture, avec une typo qui en jette, je vais ratisser large : le bigleux puceau, la ménagère de moins de cinquante ans, la jouvencelle qui n'a jamais rien lu de plus compliqué que Harry Potter, le lecteur de Télérama... se sentiront obliger de me mettre dans leur caddie. Et quand on me demandera à quoi correspond ce magnifique angle aigu, je répondrai d'un air goguenard "Va te faire shampouiner".
Ah, j'ai hâte, mais j'ai hâte !