L'acte de création.

Publié le par Leussain

Je vais te dire comment je conçois l'écriture d'un roman. Je visualise cet acte de création à la manière d'un travail de sculpture. Ça peut paraître un peu teubé, mais c'est vraiment l'image qui retranscrit le mieux ma méthode, qui n'est certes pas universelle.

Au départ fleurit dans l'esprit un concept. L'idée de départ qui va déterminer tout le reste. C'est le bloc de marbre brut que je vais tailler avec mon gros burin. Je commence, d'une traite, sans fignoler les détails, à coucher la trame, le squelette, sans trop me soucier du style, que j'ai par bonheur naturellement flamboyant. Bizarrement, c'est la phase de l'écriture pendant laquelle j'éprouve le moins de plaisir et le plus de découragement. Au premier jet, donc, j'obtiens donc une statue à la forme vaguement humaine, mais dont on ne saurait dire si le modèle était Roseanne Bear ou Shakira.

Deuxième passage. Stephen King enlève de la matière. Il expurge environ 20% de sa copie. Je n'ai pas lu cette information dans le marc de café mais dans son excellent bouquin, "Écriture : Mémoires d'un métier", qui devrait être lu par tout aspirant écrivain, même s'il ne goûte pas les romans du maître. Moi au contraire, je trouve toujours mon premier jet trop pauvre, pas assez étoffé, et j'ai souvent le sentiment en me relisant que l'intrigue se précipite. C'est quelque chose qu'on retrouve fréquemment chez les auteurs amateurs. Alors j'ajoute, des mots mais aussi des paragraphes entiers, parfois même un chapitre entier m’apparaît indispensable. J'en profite pour soigner le style, la syntaxe, la grammaire, les fautes d'orthographe et les coquilles qui me sautent à la gueule. C'est une étape passionnante, et qui contrairement à ce que pourrait penser le lecteur lambda (disons, par exemple, le responsable peinture de Leroy-Merlin), est aussi la plus longue. Ma statue commence à ressembler à la Shakira que j'avais en tête, mais il reste encore à donner tout le lustre et les petits détails qui feront ressembler ma statue à la belle colombienne bandante, et mon roman à autre chose que les infernales purges de monsieur Marc Lévy.

Troisième passage. J'apporte encore de la matière, shplaf ! schplaf ! à la truelle ! quitte à dégrossir et ébavurer ensuite. Je refignole le style, j'annihile des personnages ou je les rebaptise, j'en fais naître d'autres. Je commence à traquer les fautes d'orthographe et de conjugaison, façon épuration ethnique. Ce que je viens d'écrire tourne en arrière-plan constamment dans mon esprit ; au boulot, en voiture, en regardant un film, avec ma chérie, dans ma chérie, pendant que je fais les courses, pendant que mon banquier me cause de placements dont je n'ai rien à foutre... Des aphorismes, des dialogues, des phrases qui claquent, m'assaillent, que je note précieusement sur un cahier ou un ticket de caisse qui traîne afin de les retranscrire dès que je peux sur mon PC, ce fidèle compagnon de l'homme moderne.

Suivent un quatrième, un cinquième, voir un sixième ou septième passage, lors desquels je parviens toujours à repérer une faute, une phrase bancale ou maladroite. Si je m'écoutais, je ne lèverai pas mon cul de ma chaise avant d'être certain que ce que je vais présenter aux trois lecteurs et demi qui paieront pour me lire quelque chose, sinon de parfait, du moins d'acceptable.

Et voilà, pour en terminer avec la métaphore de la sculpture, ma représentation de Shakira doit être assez aboutie pour qu'en la regardant, tu aies spontanément envie de sortir ta queue pour l'introduire dans l'orifice que j'aurais prévu à cet effet. Et c'est déjà pas mal.

Publié dans autour de l'écriture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article